Note d'intention


Racine, héritier d’Euripide, porte à son plus haut degré de perfection la tragédie française de son époque. Il traduit magnifiquement l’humanité, la vérité et l’ambivalence de ses personnages, âmes à la fois vertueuses et faibles, soumises à la fatalité et au déchainement des passions. Il donne à entendre « le chant de la passion amoureuse ». (1) Sa verve poétique s’inspire de visions mythologiques, historiques et bibliques et transcende la vie commune en destins illustres et légendaires.

 

 

Le style de Racine, par son dépouillement, sa sobriété d’expression et l’élégance du ton nous touche profondément. Pour Racine, la poésie EST le théâtre, considéré en son temps comme la plus haute forme poétique. Son écriture est musique : si on considère le fait historique qu'au 17ème siècle on ne connaissait la poésie que par la lecture à haute voix, la valeur de la ponctuation est capitale et donne à la phrase racinienne son tempo, sa respiration, faisant de chaque vers une portée musicale.

 

"Une chose assez singulière, et qui, peut-être, ne se trouve que dans notre langue, c'est que nous avons deux manières de prononcer, l'une pour la conversation, l'autre pour la déclamation. Celle-ci donne du poids aux paroles, et laisse à chaque syllabe l'étendue qu'elle peut comporter : au lieu que celle-là, pour être coulante et légère, adoucit certaines diphtongues et supprime des lettres finales." (2)

 

Lire à voix haute, déclamer, presque chanter cette poésie dramatique, alternant alexandrins masculins et féminins, changements rythmiques, consonnes finales prononcées, valeurs longues et courtes, montée de la voix à l'hémistiche, "r" roulé, et bien d'autres règles d'usage à cette époque, nous fait vivre une

expérience nouvelle et surprenante, abolissant le temps et l’espace, et nous permettant d’éprouver

l’émotion originelle de ce théâtre ancien.

 

Nous sommes maintenant dans un théâtre, en présence de personnages-acteurs qui ne parlent pas tout à fait notre langue, et pourtant si : le plus beau français que l'on puisse entendre ! Ces personnages semblent flotter sur scène, à la lueur des bougies, parés d'étoffes précieuses, le visage et les mains

maquillés de blanc...le charme agit, nous transporte.

 

Situations dramatiques, personnages, sens et émotions deviennent limpides, clairs, le TOUT sublimé par cette beauté picturale claire-obscure d'un La Tour, d'un Caravage : on ressent tout, on comprend tout. C'est "un TOUT théâtral", où le sens, la voix et le corps ne font qu'un, effaçant toute notion de

psychologie (qui n'existait d'ailleurs pas au 17ème siècle), où le "naturel moderne" disparaît, où le

spectateur frissonne à la voix plaintive d'Andromaque : "Ô Troyens", et pleure à la fin de ses mots :

"Ô mon fils".

 

Avec ce concert-théâtre, je souhaite offrir une forme scénique épurée et accessible, unissant théâtre

baroque et chant lyrique, portés par une chanteuse, un comédien et un luthiste.

La correspondance sensible entre théâtre et musique, entre airs amoureux et passions tragiques, entre grands airs d'opéra (Lully, Rameau...) et grands récits et monologues de Jean Racine (Théramène,

Antigone, Athalie, Antiochus, Petit-Jean...), et enfin "l'Idylle sur la paix » - écrite pour être chantée sur une musique de Lully, sera l'occasion de redécouvrir l'œuvre de Racine en voyageant dans le temps... 

 

 

 

 

(1) Georges Forestier, Œuvres complètes - bibliothèque de la pléiade - Edition 1999

 

(2) Abbé D'Olivet, Remarques de grammaire sur Racine, 1738