Les Fâcheux


CRÉATION 

Le 3 octobre 2013 - L'Escale de Saint Cyr Sur Loire (37)

x représentations



DISTRIBUTION 

COMÉDIENS:

Malo de La Tullaye

Jean-Denis Monory

 

COMÉDIENS-DANSEURS:

Camille Metzger

Bastien Ossart

 

DANSEURS-COMÉDIENS:

Gudrun Skamletz

Alex Sander Dos Santos

 

MUSICIENS-COMÉDIENS:

Manuel de Grange, guitare baroque

Vojtech Semerad, violon baroque

Jennifer Vera, flûte, cornet à bouquin, percussions

 

MISE EN SCÈNE:

Jean-Denis Monory


COLLABORATION ARTISTIQUE:

Lorenzo Charoy


CHORÉGRAPHIE:

Gudrun Skamletz


DIRECTION MUSICALE:

Manuel de Grange


CRÉATION COSTUMES:

Chantal Rousseau


CRÉATION POSTICHES:

 Julie Coffinières


MAQUILLAGE ET COIFFURES:

 Mathilde Benmoussa


SCÉNOGRAPHIE:

Jean-Denis Monory


CONSTRUCTION DÉCOR:

 Luc Boissinot

 

---


Personnages:

Eraste / La Montagne / Alcidor

Orphise / Lysandre / Alcandre

Alcipe / Orante / Clymène

Dorante / Caritidès / Ormin

Filinte / Damis / L'Espine

La Rivière et deux camarades / Personnages de ballet 


Contexte et argument

Comédie-ballet en vers en trois actes représentée pour la première fois à Vaux le Vicomte

le 17 août 1661, lors de la fête offerte par le surintendant au Roi Louis XIV

 

Musique de Beauchamp et Lully

Chorégraphie de Beauchamp

 

Après les précédentes créations de la Fabrique à théâtre et compte tenu des parcours individuels des artistes intervenants au sein de la compagnie, le souhait de mêler leurs disciplines dans un projet commun s’est imposé comme une évidence. 

 

Dans cette perspective, le choix des Fâcheux, une œuvre peu montée, permettra au public de découvrir un texte de Molière et à la compagnie de faire un travail nouveau et complet intégrant théâtre (dont personnages muets), musique et danse à parts égales.

UNE COMÉDIE injustement delaissee

Alors même que ce fut l'une des pièces de Molière les plus souvent jouées de son vivant par sa troupe, alors même que l'engouement de notre époque pour la musique et les fêtes baroques ne cesse de s'affirmer, la comédie Les Fâcheux ne suscite plus l'intérêt des metteurs en scène depuis plusieurs décennies. Ce désintérêt nous apparaît injuste tant cette pièce est plaisante et originale.

 

Commandée par Fouquet pour les festivités somptueuses de Vaux-le-Vicomte qui lui vaudront sa disgrâce, c'est une œuvre légère dans sa forme comme dans son propos, enlevée, très représentative de l'esprit et du goût qui allaient triompher à la cour de Louis XIV dans les années suivantes. C'est aussi le prototype d'un genre que Molière n'avait pas encore expérimenté et dans lequel il allait exceller : la comédie-ballet ou « comédie mêlée de danse et de musique ». Chaque acte de la pièce s'achève en effet par une chorégraphie « cousue le mieux possible au sujet » où les groupes de Fâcheux rencontrés par le héros dansent « d'assez bonne grâce ».

Pour que la fête de Vaux fût complète, il importait que la comédie donnée dans un tel décor fût elle-même ornée d'éléments musicaux et chorégraphiques qui la missent au diapason. Elle concourait ainsi à cette fusion des arts qui était dans l'air du temps qu'on n'appelait pas encore baroque.

 

Le canevas narratif de cette comédie « faite, apprise et représentée en quinze jours » est d'une grande simplicité : un jeune galant, à la recherche de l'élue de son cœur, s'en voit empêché par une série de rencontres importunes avec des Fâcheux qui l'accablent de leur bavardage. Il en découle un comique de situation, mais aussi un subtil comique de mœurs et de caractère.

Les Fâcheux sont des monomaniaques qui témoignent des usages et des civilités qui régissaient la société courtisane du XVIIème siècle : la danse, la chasse, le duel, la conversation, les jeux… Par cette galerie de portraits savoureux, le dramaturge enrichit la scène d'un type qui s'affirmera dans les grandes comédies de caractère qui vont suivre : il suffira d'appuyer un peu le trait pour que l'Orphise des Fâcheux devienne Célimène, ou qu'Eraste, le galant impatient, ne se mue en Misanthrope.

 

Et ces Fâcheux, si finement croqués et raillés par Molière, ont certes pour modèles les premiers spectateurs de la pièce à Vaux-le-Vicomte mais, 350 ans plus tard -chacun de nous peut en témoigner- les "Fâcheux" sévissent toujours, même si on n'utilise plus ce terme délicieux pour les désigner…


Scénographie et mise en scène

Un chemin clair traverse l’espace en ligne de fuite, de l’avant-scène au fond de scène et n’est éclairé que des seules bougies au sol et sur lustres. Ce chemin rappelle les jardins de Vaux le Vicomte et la vanité du «reflet» ; il délimite l’espace entre zones de jeu (claires) et de non-jeu (sombres) et accentue l’impression d’enfermement et d’empêchement du personnage principal Eraste.

 

Trois musiciens grimés, figurent le «chœur antique» ; ils regardent passer les personnages, commentent leurs agissements et interagissent avec eux à la manière d’un trio burlesque. Ils sont tantôt témoins des malheurs du Marquis, tantôt virtuoses, partageant les facéties des danseurs-jardiniers, joueurs de boules, etc.

 

La première gageure de ce spectacle sera pour les neuf interprètes de jouer la trentaine de personnages de cette comédie-ballet, portée par la musique et la chorégraphie de Beauchamp et la courante de Jean-Baptiste Lully. L’ambition de cette mise en scène est une recherche dans la continuité de l’œuvre originale, soutenue par une liberté de création formelle. 

Par sa forme «brute», cette comédie-ballet écrite en quinze jours représente pour nous un support idéal d’expérimentation scénique, un lieu de création/recréation/récréation où, nous appuyant sur nos connaissances respectives et nos expériences en spectacle baroque -théâtre, musique et opéra- nous tendrons à les transcender par un travail collectif. Cette recherche sera enrichie d’une collaboration avec Patrick Pezin, maître de Commedia dell'arte et du jeu masqué que Molière affectionnait, inspiré par la troupe des Italiens avec laquelle il partageait le théâtre du Palais Royal.

 

La pluridisciplinarité de ce projet nous place face à un enjeu de taille : les interprètes eux-mêmes (comédiens, danseurs, musiciens) se formeront les uns les autres et mêleront les genres pour trouver ensemble un lien profond, moteur de leur inventivité et cœur de leur unité, afin de formaliser et magnifier cette union des arts. Il s’agira également de mettre en valeur la modernité du propos, d’ouvrir le dialogue entre les siècles, pour un résultat qui, dans le plus grand respect de la forme baroque, puisse aussi être qualifié de «contemporain».

 

Par sa distribution minimale et sa forme scénographique dépouillée, cette comédie-ballet s'adaptera à des lieux très variés, petits ou grands, pour permettre au théâtre baroque, art novateur, poétique et puissant d'aller à la rencontre de tous les publics.


La Musique des "Fâcheux"

« … Le dessein était de donner un Ballet aussi, et comme il n’y avait qu’un petit nombre de danseurs excellents, on fut contraint de séparer les entrées de ce Ballet, et l’avis fut de les jetter dans les entractes de la comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes balladins de revenir sous d’autres habits. De sorte que pour ne point rompre au fil de la pièce par ces manières d’intermèdes, on s’avisa de les coudre ou sujet du mieux que l’on pût, et de ne faire qu’une seule chose du Ballet et de la Comédie.»

Molière, préface de l’édition de 1662

 

 

 

Dans la préface des « Fâcheux », Molière explique le cadre dans lequel il a écrit sa première comédie-ballet : il parle notamment du peu de temps dont il disposait pour répéter ainsi que du souhait d’insérer un ballet afin d’agrémenter ce divertissement conçu, dans un premier temps, pour plaire au roi.

 

La partition écrite par Pierre Beauchamp (1631-1705) commence par une Ouverture à la française (lent binaire/vif ternaire/lent binaire) et nous propose ensuite une alternance de danses et airs plutôt courts. C’est une écriture simple, à 5 voix (dessus, haute-contre, taille, quinte et basse) structurée en deux parties avec des reprises. Ces danses, bien que n’intervenant originairement qu’entre les actes (Molière fut contraint de structurer ainsi la pièce afin de permettre aux danseurs, peu nombreux, de changer leurs habits et d’être prêts à intervenir dans les intermèdes suivants), sont au cœur même de l’action : elles illustrent l’intervention des fâcheux collectifs : joueurs de mail, curieux, jardiniers, joueurs de boulle...

 

Nous chercherons ainsi à intégrer les musiciens et les danseurs dans un cadre qui leur permette d’être eux-mêmes des personnages. Par le jeu et le mouvement, ils deviennent des importuns qui ne se contentent pas de jouer leurs instruments ou de danser : ils se transfigurent en véritables comédiens. Cette « polyvalence » des artistes nous rapproche davantage de l’univers baroque où le cloisonnement n’était pas de mise.

 

Concernant l’instrumentation, nous avons choisi de confier les parties de dessus et haute-contre, à un violon et une flûte (ou hautbois). Les parties de taille, quinte et basse feront l’objet d’une réduction réalisée par un luth ou une guitare, selon le caractère  que nous choisirons de donner aux pièces. On trouve également une petite courante à deux voix écrite par Jean-Baptiste Lully, d’une simplicité presque naïve, illustrant l’intervention de Lysandre (importun se piquant de savoir écrire la musique et de danser).

 

Manuel de Grange


La Danse

L’année de création des « Fâcheux », 1661, voit également la fondation de l’Académie Royale de la Danse par Louis XIV. La précision et la codification de la danse font naître les prémices d’une technique et d’une terminologie qui perdureront. L’institution « académique » constitue également un terrain propice à un mouvement de professionnalisation, chez ceux qui pratiquent la danse aussi bien que chez ceux qui la transmettent (les « maîtres à danser »).

 

La reconnaissance de l’art de la danse s’épanouit à cette période charnière. Par la suite, cette évolution donne lieu au développement d’une notation de la danse (aujourd’hui appelé écriture Feuillet), qui permettra de faciliter la transmission des danses et des codes, ainsi que d’acquérir une forme de recul et une « intelligibilité » de l’art chorégraphique et de son répertoire qui commence à se constituer.

 

Dans les « Fâcheux », la danse est initialement placée entre les différents actes, afin de donner le temps à Molière lui-même d’enchaîner ses multiples rôles, ainsi que pour permettre aux danseurs – peu nombreux – de se changer pour leur prochaine apparition. A la base, ces intermèdes  dansés semblent pensés dans un esprit de divertissement, faisant le lien entre les actes et les scènes.

 

Les danseurs incarnent des joueurs de mail ou de boule, des savetiers ou des jardiniers, des curieux ou des frondeurs, des Suisses, des Sylvains et des bergers. Plaçant l’action de la pièce dans un contexte « quotidien », ces personnages peuvent également représenter de potentielles rencontres « fâcheuses » pour Eraste, des situations contrariantes, exprimées sans paroles.

 

Pour cette production, toute la matière de la danse est à créer. Nous l’abordons avec un imaginaire libre tout en nous inspirant des didascalies et en le mettant au service de la pièce et de ses particularités.

 

Les mouvements dansés sont imprégnés de la danse baroque. Si par moments la gestuelle s’éloigne d’une forme baroque, le lien avec cet univers sera assuré par l’esprit et la sensibilité dont les danseurs investissent le mouvement, par une rythmique et une musicalité, ainsi que l’utilisation particulière de l’espace.

Selon des rythmiques ou des phrasés musicaux caractéristiques, la musique peut appeler une gestuelle dansée et des dynamiques corporelles spécifiques. Ainsi la danse entre en communication avec la musique, par concordance ou par contraste, en écho ou en réponse.

En ce qui concerne le travail spatial, l’art chorégraphique baroque est un outil idoine pour rendre des situations théâtrales plastiques et tridimensionnelles. La danse investit également la scénographie, qui à son tour peut devenir un élément de la chorégraphie à part entière.

L’expression de la danse est portée aussi bien par l’action et l’esprit des personnages incarnés que par un mouvement inventé, évoquant un sens lui-même. La dimension technique de la danse est dépassée par cette expression.

Les chorégraphies sont créées pour et ajustées aux personnages qui dansent, ainsi qu’à leurs interprètes. Ce processus peut être poussé jusqu’à ce que chaque personnage (aussi bien que son interprète) façonne en quelque sorte sa propre danse.

 

Le défi de la pluridisciplinarité des interprètes que nous osons pour ce projet nous place dans une démarche qui vise un équilibre particulier et délicat entre les arts. Il convoque un alliage qui peut surprendre et bousculer des habitudes (aussi bien celles de l’interprète que celles du spectateur), favorisant ainsi créativité et invention, aussi bien qu’un regard renouvelé sur l’art scénique.

De cette manière, je rêve de la naissance d’un mouvement dansé, dans lequel la mobilité et la dynamique du danseur rencontrent l’expressivité et la force communicative de l’acteur, tout en s’accordant avec la sensibilité d’une époque et le propos qu’ils portent.

 

Gudrun Skamletz

 


Costumes

Tous les acteurs, musiciens et danseurs seront vêtus d’une base de costume du XVIIème siècle (chemise, culotte, robe...), sur laquelle seront ajoutés au gré de leurs apparitions des éléments de costumes et des accessoires (chapeaux, bottes, ringraves, faux ventres, perruques, etc) et, pour certains, des demi-masques.

 

Ce dispositif permettra d’une part des changements rapides, à vue ou en coulisses et, d’autre part, dessinera des silhouettes contrastées, immédiatement identifiables.

Le pari de cette création de costumes est en effet de faciliter la lisibilité du déroulement de l’action et de la succession des personnages et d’aider la performance des artistes qui incarneront tour à tour une trentaine de rôles.

 

Conçus et réalisés par Chantal Rousseau, les costumes de la Fabrique à théâtre sont le reflet de la mode à la cour de Louis XIV et sont imaginés et travaillés en fonction de l’éclairage particulier des bougies.

 

Après avoir acquis une compétence de conceptrice-réalisatrice de costumes pour le spectacle vivant, Chantal Rousseau oriente son travail autour de deux axes majeurs : la recherche textile -textiles anciens, teintures, patines, matériages- et l’accompagnement du metteur en scène tout au long de la création, qu’elle soit de théâtre, de danse ou de cirque, baroque ou contemporaine. Elle travaille notamment avec La Fabrique à théâtre et Jean-Denis Monory, le théâtre Toujours à l’horizon à La Rochelle, Catherine Boskowitz ou l’Emballage théâtre, la Tchekpo Dance Company en Allemagne, Régine Chopinot, le théâtre des Amandiers de Nanterre, Cécile Roussat et Le Poème Harmonique ou encore Jean-Claude Cotillard.


Pierre Beauchamp   (1631-1705)

Danseur, chorégraphe, compositeur et chef d’orchestre, Pierre Beauchamp fut considéré par ses contemporains comme le père de tous les maîtres à danser. Il codifia les cinq positions des pieds et des mains et développa un système rationnel de notation de la danse, traité connu aujourd’hui comme d’après Raoul-Auger Feuillet, car ce dernier publia en 1700 le traité intitulé “Chorégraphie, ou L’art d’écrire la dance”.

 

Beauchamp fut le maître à danser de Louis XIV et le partenaire préféré dans les ballets de cour des années 1650/60. Il collabora avec Jean-Baptiste Lully tout au long de sa carrière, ce dernier ayant été d’abord danseur comique, puis compositeur de ballets de cour.

 

Beauchamp réalisa la chorégraphie des intermèdes et des danses pour les comédies-ballet de Molière, à commencer par Les Fâcheux (1661), pour laquelle il composa également la musique et dirigea l’orchestre.

 

Il chorégraphia les entrées pour Le Mariage forcé (1664), Le Bourgeois gentilhomme (1669), Les Amants magnifiques (1670, en collaboration avec Dolivet) et Le Malade imaginaire (1673) et participa en qualité de danseur dans d’autres pièces. Il fut le maître de ballet de Pierre Perrin à l’Académie Royale de Musique, où il créa les danses pour Pomone de Robert Cambert en 1671. En tant que maître de ballet de Lully durant les années 1670/80, il chorégraphia les danses pour les premières de L'Impatience (1661), La Naissance de Vénus (1665), Alceste (1674), Atys (1676), Isis (1677), Le Triomphe de l’Amour (1681, en collaboration avec Pécour) et Ballet de la Jeunesse (1686).

 

Après la mort de Lully en 1687 Beauchamp quitta, et jusqu’en 1697, l’Opéra et se consacra à la chorégraphie et composition de la musique pour les ballets de cour au sein du collège des Jésuites, tout en continuant ponctuellement à participer à la danse et à la chorégraphie des ballets de cour du roi. Louis XIV lui fut très reconnaissant : Beauchamp fut nommé Intendant des ballets du roi en 1661 et directeur de l’Académie Royale de Danse en 1680, dont il ne fut cependant pas, comme certains l’affirmaient, membre fondateur.